Jacques-Alain Miller : l'UMP à qui perd gagne !

Pour le psychanalyste Jacques-Alain Miller, la crise à l'UMP la sert. La preuve : les résultats des élections partielles. Analyse.

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François Fillon et Jean-François Copé. © Miguel Medina / AFP

Temps de lecture : 7 min

Dimanche dernier, élections partielles. L'UMP caracole en tête ! Le FN, le PS sont dans les choux. Qu'est-ce qu'un événement, un vrai ? C'est ce qui déjoue toute attente. Un parti politique, depuis trois semaines, se donne en spectacle. Il désole, exaspère, angoisse ses militants. Il afflige ou irrite les commentateurs les mieux disposés. Il est la risée de tout ce qui pense en France et dans le monde. Et voilà que l'électeur le récompense, le plébiscite ! Le PS minimise, c'est bien le moins : ce sont des partielles, ça ne compte pas, etc.

Mais Le Figaro fait de même : "L'UMP ne doit pas trop rire", avertit l'éditorialiste sévère. Il ferait beau voir qu'elle s'en tire à si bon compte ! Elle est en tête, soit, mais ce succès ne vaut pas absolution. Ici même, Philippe Tesson invite "les frères ennemis de l'UMP" à "mettre fin à une guerre civile qui les déshonore" - et qui ne partage ce sentiment parmi les gens honorables ? Cependant, un petit fait vrai donne à penser : le hiatus entre l'événement électoral et les discours qui le précédèrent. Occasion de regarder de plus près certains de nos principes de psychologie politique. Peut-être ne sont-ils, après tout, que des préjugés.

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Les dangers du "bon chic bon genre"

On admet comme allant de soi que l'électeur, quand il est sollicité de voter pour un parti, ne met rien au-dessus de la concorde et du ronron. Dans ce cas, ces jours-ci, rien ne vaut le Front national, car rien de plus pépère. Pas un couac. Le papa est au placard. L'héritière se surveille. Un mot de travers, elle le sait, ce serait clameur de haro. Du coup, la voici toujours plus BCBG. En juin, elle était outrée de n'être point reçue à l'Élysée, elle l'a été le 30 novembre. Tapis rouge. Elle apprécie "la courtoisie républicaine" du chef de l'État. Elle vante son accueil, "détendu et ouvert". Elle le compare avantageusement à son prédécesseur. "Je n'ai jamais eu de l'homme, dit-elle, une image négative."

Ô Chimène, ô litote ! Pour ainsi dire : "Va, je ne te hais point !" C'est merveille que de suivre Marine Le Pen se "dédiabolisant" à vue d'oeil, avec la prestesse de Mme Verdurin born again en princesse de Guermantes. La jeune Marion est on ne peut plus cool. Le vice-président du Front fleurit la tombe du général de Gaulle. Quant à l'ancêtre lui-même, il se fait frictionner à la savonnette à vilain (Philippe Cohen et Pierre Péan, Le Pen : une histoire française, Robert Laffont). Bref, dans la présente conjoncture, c'est un fait : le FN, qui à chaque partie de cartes héritait du valet de pique, s'est enfin débarrassé du pouilleux. Où est-il passé, ce damné mistigri ? Il faut bien que quelqu'un ait pioché la carte fatale.

"Tout le monde médit de moi/sauf les muets, ça va de soi" (Brassens)

"L'inquiétant M. Copé", titre Le Nouvel Observateur. Marianne avait ouvert la voie avec "Le voyou de la République". Ouf ! le pelé, le galeux, est retrouvé. Car voilà un principe qui ne s'avoue pas : il faut un diable aux honnêtes gens, sinon comment savoir que, honnête, on l'est ? Dédiabolisation par-ci appelle diabolisation par-là. La gauche concentre le tir sur Jean-François Copé. Reconnaissons qu'il fait tout pour, jusqu'à flirter avec une héritière de l'OAS quand le FN, on l'a vu, s'incline bien bas devant de Gaulle. Le chassé-croisé est cocasse. Il y a passage de relais. La gauche a fait la réputation de Jean-Marie Le Pen. Elle a "drivé" sa carrière trente ans durant, avec le succès que l'on sait. Mais vient le jour où la vedette vieillie doit céder la place à la neuve starlette. Classique. Copé après Le Pen, c'est un peu l'intrigue de A Star is Born, ou du plus récent The Artist. Sauf que ces mélos s'achèvent en happy end, par le mariage de l'ancien et du nouveau. N'y comptons pas.

"L'actualité jouissive" (Sollers)

À droite, c'est encore autre chose. Ne voilà-t-il pas que la forte odeur de soufre qui émane désormais de Jean-François Copé se répand aussi sur le voisin, alors que ce dernier est pour l'heure en odeur de sainteté à gauche. Mais François Fillon a mis du sien pour se diaboliser, à l'école du "voyou de la République". "Je ne le reconnais pas. Il est enragé", s'étonne un intime. Il y a donc maintenant à l'UMP non pas un, mais bien deux méchants, deux indignes se déshonorant à qui mieux mieux, chacun avec sa bande.

Alors que, tout autour, regardez : que des partis gentils et propres sur eux ! Il a le mérite de postuler au rang de grand méchant loup, mais qui a peur de Mélenchon ? Tandis que la bourgeoisie a viré bohème, la morale bourgeoise a depuis longtemps trouvé refuge chez nos communistes. Les Verts, les socialistes ? Muselés. Bayrou, Borloo ? Le Bon Dieu sans confession. Et le FN, "c'est un petit peu comme la pute qui devient chaisière à l'Église" (Le Pen sur Sarkozy en février dernier). Ne cherchez pas. Le seul parti en France où il y ait pléthore de meuchants et de meuchantes, qui se menacent et du civil et du pénal et du gril et du brutal, c'est l'UMP ! Tout le monde dit : "Le feuilleton." Qui l'eût cru ? Qui l'eût dit ? L'UMP, le parti le plus jouissif de France !

Le Viagra des politiques

Posez-vous la question : entre les déchirements de l'UMP et la mobilisation de l'électorat en sa faveur, n'y aurait-il pas quelque rapport de cause à effet ? Le prix à payer pour la paix civile dans les sociétés démocratiques avancées - Tocqueville fut le premier à l'annoncer -, c'est, sous une agitation de surface, la monotonie de la vie publique dans l'indifférence, l'ennui, l'endormissement du citoyen. La méthode Hollande a porté le phénomène à son comble. Ses marches et contremarches vous laissent les braves gens tout emberlificotés. Dans ce contexte émollient, la libido, refoulée par le PS, reflue vers l'UMP.

Soudain, elle jaillit à haute pression. C'est le geyser ! On se déchaîne. On crie, on pleure. Le duel ! La lutte à mort ! Tout le monde se réveille en sursaut. Fini, la torpeur hollandaise et les ronrons du Front ! C'est Copé, c'est Fillon, qui sont le bruit et la fureur, et non plus Mélenchon. UMP : c'est là que ça se passe ! UMP passion ! UMP poison ! Mais aussi UMP vigueur ! UMP énergie ! UMP, ça déchire ! Vacarme honteux, ridicule ? Sans doute. Peut-être. Mais il n'en a pas moins produit cet élément, le plus précieux de l'alchimie des pulsions, que Freud appelait Lustgewinn. Lacan l'a traduit, sur le modèle de la plus-value, par un néologisme : "le plus-de-jouir". C'est, disons, un concentré ultra-puissant de libido. Qu'ils le sachent ou pas, rigolards ou excédés, les Français l'ont gobé, ce comprimé. Et contre toute attente, ils ont propulsé en tête les candidats de l'UMP, sans se soucier qu'ils soient copéistes, fillonistes ou fildeféristes. Nous entendons bien que ce propos est contre-intuitif, qu'il blesse le sens commun. Mais l'expérience historique confirme que ce n'est pas d'aujourd'hui qu'en France le mistigri est porteur. Prime aux pouilleux !

Les deux font la paire

"L'enfer, c'est l'autre." C'est un peu ce que disait Sartre en son Huis clos. Mais non. Entre Copé et Fillon, c'est déjà "la trêve des confiseurs". Ils se sont compris l'un l'autre. Ils se tiennent par la barbichette. Comme prévu, ils entérinent la division de l'UMP. Ce sera une modalité affaiblie de son unité, voilà tout. C'est pour chacun l'issue qu'il doit préférer. Le vrai-faux ultimatum de Sarkozy avait dressé devant eux la barrière de l'urgence. Maintenant que les rivaux, objectivement complices, l'ont franchie de conserve, le temps a repris son allure d'escargot. Tandis que Copé et Fillon, chacun sur sa Montagne, accomplit sa vocation, le choeur est répandu dans la Plaine. Là, on se tord les mains, on ne sait plus quoi inventer. "C'est le concours Lépine", ricane Copé. "Poursuivez", laisse entendre Fillon. Les Maître Jacques courent d'une cime à l'autre, sermonnent les deux intraitables. On réclame une négociation, un compromis, un "deal" quoi, conforme à la morale des marchés, à la DSK. On se scandalise que Copé comme Fillon soient maintenant juchés sur des Absolus. L'Absolu ? Bon pour des demeurés, des terroristes.

Ce matin

Chacun a sa façon à lui. Là où Fillon enveloppe, Copé bétonne. Dans Le Figaro, le premier tente, "pour l'honneur de l'UMP", le tous contre un. C'est une OPA sur la Plaine : un vote au printemps, des candidatures fraîches, coucou NKM ! Copé, lui, au micro d'Elkabbach, est souple comme une pierre. Mais demain vous lui verrez, les ciseaux à la main, découper, croit-il, le tigre de papier. Ils sont lamentables ? C'est à désespérer ? "Qu'ils meurent tous les deux ! Qu'ils débarrassent le plancher !" suggèrent de bonnes âmes. Cependant, "la dureté, la violence, l'astuce diabolique en tout genre, tout ce qui en l'homme relève de la bête de proie et du serpent sert tout autant à l'élévation de l'espèce humaine que son contraire", disait à peu près un philosophe qui n'était point un humaniste (Nietzsche).

Consultez notre dossier : Crise à l'UMP

Commentaires (17)

  • Misternon

    Exemples ? Les écologistes, les Miss France, les syndicats, les "bagarres" de conducteurs sur la voie publique, les assemblées des copropriétaires, les discussions politiques des plateaux télé... C'est à dire presque tout.

  • josuee

    ... Ou le mélange des genres quand il s'agit de sa part de parler de la Droite et ici de l'UMP ! Il est vrai que la psychanalyse détruit tout sur son passage y compris les psy aux analyses creuses et partiales !

  • openeyes

    Ben oui ! Le texte le plus intelligent que j'aie pu lire depuis bien bien longtemps !

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