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Une athée en défense des Témoins de Jéhovah

Un jugement rendu en mars dernier à Gand contre la Congrégation des Témoins de Jéhovah, ne m’a pas laissée indifférente. Je suis choquée du traitement médiatique anxiogène et maintenant judiciaire réservé aux petites religions.

Contribution externe

Une carte blanche d'Anne Morelli. Historienne, professeure honoraire de l'ULB.

D’emblée, pour ceux qui ne me connaissent pas, je dois préciser que je ne suis pas - ni aucun de mes proches - Témoin de Jéhovah. J’ai reçu une éducation strictement catholique, j’ai ensuite perdu la foi. J’ai enseigné à l’ULB, notamment l’"Histoire des églises chrétiennes contemporaines", et, avec mes étudiants de "Sociologie des religions" j’ai consacré plusieurs années de recherche à étudier les "sectes" présentes à Bruxelles.

La religion est pour moi un objet d’étude et les "sectes" sont impossibles, sociologiquement, à distinguer d’autres formes religieuses. Je tente de comprendre ceux qui orientent leur existence en fonction d’une hypothétique vie après la mort ou en fonction de prescrits d’un dieu qui, pour moi, n’existe pas. Je suis cependant choquée du traitement médiatique anxiogène et maintenant judiciaire réservé aux petites religions.

En effet, un jugement rendu au printemps dernier à Gand contre la Congrégation des Témoins de Jéhovah, ne m’a pas laissée indifférente. Ce jugement leur est défavorable et conclut qu’ils pratiquent l’incitation à la discrimination. Il leur est reproché par d’anciens membres d’avoir été "excommuniés" et mis au ban de la communauté. Les plaignants, appuyés par l’organisme interfédéral Unia, financé par les deniers publics, ont fait état d’ostracisme de la part des Témoins de Jéhovah, un ostracisme pouvant, selon eux, être considéré comme une discrimination et relevant donc d’Unia.

L’excommunication

Exclure de ses rangs un membre "indigne" relève de la plupart des confessions et a pour but de maintenir la cohésion sociale de ces groupes.

Spinoza a été victime d’un "herem" de la part de la communauté juive et les catholiques ont une procédure d’excommunication, comme les hindous ou les orthodoxes.

Dans la logique religieuse, s’il était interdit d’excommunier un membre qui s’écarte des pratiques du groupe, cela pourrait avoir pour effet d’obliger la confession religieuse à abandonner une partie de ses préceptes ou de ses enseignements.

Chez les chrétiens, ces pratiques se réfèrent à des textes du Nouveau Testament où le "dissident" était exclu de la communauté et ne devait plus être approché.

Les fondements bibliques des pratiques d’exclusion

L’évangéliste Mathieu (18: 15-17) propose d’essayer de ramener à la raison le pêcheur. Mais en cas de refus de s’amender, il deviendra étranger à la communauté chrétienne (traduction de Louis Segond - 1910).

Deux autres textes du Nouveau Testament nous éclairent sur l’origine de la pratique des Témoins de Jéhovah.

Saint Paul, dans la première épître aux Corinthiens (5: 9-11), conseille aux premiers chrétiens de mettre à l’écart les chrétiens (frères) qui sont pécheurs. "Je vous ai écrit dans ma lettre de ne pas avoir des relations avec les impudiques, non pas d’une manière absolue avec les impudiques de ce monde, ou avec les cupides et les ravisseurs, ou avec les idolâtres ; autrement, il vous faudrait sortir du monde. Maintenant, ce que je vous ai écrit, c’est de ne pas avoir des relations avec quelqu’un qui, se nommant frère, est impudique, ou cupide, ou idolâtre ou outrageux, ou ivrogne, ou ravisseur, de ne pas même manger avec un tel homme."

Un texte attribué à Jean (2e épître Jean 10,11) prône également la méfiance face au dissident : "ne le recevez pas dans votre maison, et ne lui dites pas : Salut ! Car celui qui lui dit : Salut ! participe à ses mauvaises œuvres."

Les Témoins de Jéhovah veulent appliquer les normes bibliques

Personnellement je n’y adhère en rien mais je peux comprendre que les Témoins de Jéhovah veuillent mettre la Bible (et surtout le Nouveau Testament) au centre de leurs croyances. Dans ce cas, celui qui n’en applique pas (plus) les principes n’a pas (plus) sa place dans leurs groupes religieux. S’il n’est pas écarté, il pourrait avoir par ses comportements déviants une influence indésirable sur ceux qui sont restés fidèles. Mais s’agit-il pour autant de discrimination ?

Un parallèle avec la société civile

En dehors des appartenances religieuses, nous pouvons adhérer à des groupes sportifs, politiques ou culturels. Nous sommes libres d’y adhérer mais que se passe-t-il si nous les quittons ? Le transfuge qui quitte un parti pour un autre est considéré par ses anciens acolytes comme un traître à éviter. Le supporter de l’équipe de football d’Anderlecht passé au Standard ne sera pas traité autrement par ses anciens compagnons. Les relations entre ex-conjoints ne font pas exception à cette règle. À la suite d’un divorce, non seulement les ex-conjoints s’évitent souvent mais ils encouragent leur famille et leurs amis à ne plus fréquenter leur "ex". S’agit-il pour autant d’un délit ? D’une incitation à la discrimination ?

Des "bons" et des "mauvais" témoignages

Lors du procès de Gand, qui a débouché sur la condamnation des Témoins de Jéhovah pour avoir choisi de ne plus fréquenter certaines personnes, des témoignages à charge et à décharge ont été présentés. Les témoins à charge se plaignent d’ostracisme familial. Deux d’entre eux ont été exclus des Témoins de Jéhovah, les autres ayant renoncé librement à leur engagement. Ils évoquent des amis et surtout des membres de leur famille qui les auraient évités. Il s’agirait moins, selon moi, d’incitations à la discrimination que de relations familiales détériorées à la suite de leur désengagement par rapport à des valeurs qui cimentaient le groupe.

De même, certaines familles n’invitent plus la belle-sœur divorcée ou l’oncle qui sous l’emprise de la boisson va se mettre à raconter des blagues racistes ou sexistes qu’elles ne veulent pas faire entendre aux plus jeunes.

Les Témoins de Jéhovah ont de leur côté déposé les déclarations de neuf personnes "excommuniées", qui assurent, au contraire, avoir été bien traitées par les membres de la communauté après leur exclusion. Les contacts ont certes été limités mais ils pouvaient continuer, s’ils le désiraient, à suivre les services religieux et des Témoins les auraient encore aidés lorsqu’ils ont connu des difficultés.

Je ne peux évaluer sur le plan juridique si le tribunal de Gand a eu raison ou non de récuser certains témoignages mais les témoignages de l’accusation ont été retenus, et aucun des témoignages à décharge, présentés par les Témoins de Jéhovah, n’a été pris en considération.

Au final, les demandes des parties civiles ont été pour la plupart jugées recevables et fondées et les Témoins de Jéhovah ont été, lors de ce procès, condamnés à de lourds dédommagements aux "victimes" et aux frais de justice. Selon leur point de vue, ils n’ont cependant fait qu’appliquer humainement les prescrits de saint Matthieu, Paul et Jean envers les égarés. Cette attitude est loin d’être une incitation à la discrimination et à la haine telle qu’on peut l’imaginer communément. Dans certaines grandes religions, les apostats risquent aujourd’hui encore leur vie mais ils ne s’en plaignent sans doute pas à Unia…